5.28.2006

Des mots lourds

Une gracieuseté de David



─Excuse-moi, ton papier à lettre, y serait dans quel coin ?
─Oh, juste ici. La commis m’a montré un gros paquet fleuri qui contenait une centaine de feuilles.
─Euh, non, je cherche plutôt à l’unité, c’est que j’ai seulement une lettre à écrire. Elle me regarde avec un air perplexe et me pointe du doigt les classeurs à papier près de la fenêtre.
─Les feuilles sont à gauche, et leurs enveloppes à droite.
─Je te remercie.

Quand Cynthia, la femme de mon oncle, a su que j’écrivais souvent, elle m’a demandé si je pouvais leur faire un petit quelque chose, pour leur mariage, que je lirais devant tout le monde. Sans trop penser, j’avais dit oui, je pouvais bien leur faire ça, c’était mieux que leur acheter une batterie de cuisine. C’était trois mois avant le mariage, et je me disais que j’avais amplement le temps de trouver quoi écrire.
En attendant pour monter dans l’avion, à Dorval, Cynthia m’avait demandé si mon texte était long. J’ai bien dû lui avouer que je n’avais toujours pas commencé.
─Tu sais, si ça t’énerve trop, laisses faire, pas plus grave que ça.
─Non non, j’ai juste ça à faire, je peux bien tenir ma parole.

Après avoir épuisé la mer, pour se rendre compte qu’il n’a foutument rien à faire dans cette eau à part nager; j’ai décidé que je serais plus productif sur la terre ferme. Sur une plage, au soleil, avec comme parasol un palmier; y’a pas grand chose de mieux à faire que lire ou écrire. J’ai eu le temps de lire deux livres et d’écrire un chapitre, mais toujours rien du coté du texte pour les noces. Vint le jour du mariage, il commençait à trois heures. Après être allé déjeuner, je me suis installé, seul dans la chambre d’hôtel, loin du soleil et des bikinis, il me restait un peu moins que quatre heures pour faire le texte.

Au bout d’une demi-heure, je n’avais toujours pas écrit un seul mot sur la putain de feuille. J’essayais de trouver de quoi de bien, auquel je croyais pour souligner la beauté de ce mariage, et je n’y arrivais pas. Il n’y avait pourtant rien qui clochait dans cet événement, on était à Cuba, il faisait extrêmement beau et deux personnes que j’appréciais énormément allaient vivre un de leurs plus beaux moments à vie. Il fallait quand même que je me rende à l’évidence que c’était justement à cause du mariage que je butais sur mon crayon. Ce tout petit texte remettait en question mes principes envers le mariage, que je croyais durs comme fer.

Après le souper, au coucher du soleil, juste avant l’arrivé du gâteau, Cynthia m’a demandé si j’étais près. Je me suis levé et je suis allé au bout de la table, là où tout le monde pourrait m’entendre. J’ai pris mon petit calepin et j’ai lu mon texte, en butant qu’une seule fois, sur un mot facile et anodin; peanuts. On se demandera pas pourquoi j’avais écris ça, les gens autour de la table ont bien ris à travers leurs yeux remplis de larmes, surtout les mariés, surtout eux. Quand j’ai terminé, je leur ai dit qu’au retour, je leur enverrais le tout par la poste, sur du beau papier, avec mon écriture du dimanche.

Dans l’avion, au retour, j’ai regardé
mon oncle et Cynthia, qui dormaient l’une sur l’autre, mains enlacées et je me suis demandé si j’allais y croire un jour à ce mot, à cette promesse. Je suis retourné à mon hublot, on volait au dessus d’une grande ville américaine, toute illuminée. À notre hauteur, un énorme nuage gris se zébrait d’éclairs; mon premier orage vu à l’horizontal. J’avais du Tom Waits dans les oreilles et j’avais mal au menton.

Y’en a qui disent qu’il suffit de porter attention et y’en a disent que c’est une question de temps. Si vous voulez mon avis, c’est beaucoup plus compliqué que tout ça, pas assez compliqué pour pas vouloir le faire; juste assez pour pas vouloir le faire n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui.